[Témoignage] Adapter son activité pour répondre aux besoins des entreprises comme de la population
3 questions à Laurent Eecke, Directeur du Service Interentreprises de Santé au Travail 24 (SIST 24) à Périgueux et de l’Association Interentreprises pour la Santé au Travail de Corrèze (AIST19)
Afin d’accompagner leurs adhérents durant cette crise sanitaire majeure, les services de santé au travail interentreprises mettent en place des solutions de téléconsultation avec leurs professionnels de santé au travail, qu’ils soient médecins, psychologues ou ergonomes. La direction du Service Interentreprise de Santé au Travail 24 à Périgueux et de de l’Association Interentreprises pour la Santé au Travail de Corrèze témoigne.
Comment s’est organisé le SIST 24 pour faire face à cette situation inédite ?
J’ai la responsabilité de deux services, en Dordogne et en Corrèze. Nous avons adapté immédiatement nos conditions d’exercices aux mesures communiquées par le Gouvernement et la DGT. Tout ce qui pouvait être réalisé en télétravail a été fait. Nous avons mis en place une hotline où les médecins se relayent pour répondre aux salariés et aux employeurs. Pour les secteurs essentiels à la continuité de la vie de la Nation (grande distribution, énergie, etc.), nous avons immédiatement positionné les médecins qui allaient être d’astreinte afin de réaliser les visites de reprise et d’embauche ainsi que les visites à la demande.
Nous avons mis en place des téléconsultations avec nos deux psychologues du travail qui réalisent des entretiens avec des salariés ou des employeurs qui pourraient présenter des signes de fragilité, de décompensation ou d’angoisse. Ils leur donnent des conseils pour adapter la manière de travailler durant cette crise et les orientent au besoin vers du soin de ville.
De plus, beaucoup de salariés vont être appelés à travailler de nombreuses semaines chez eux : sur une table de jardin, sur une table basse ou même sur leur lit. Nos ergonomes ont donc proposé de la télé-ergonomie pour éviter que les gens reviennent dans quelques semaines avec des douleurs, des lombalgies, … Il s’agit d’un système très simple par WhatsApp : grâce à la vidéo l’ergonome observe l’environnement du salarié, par exemple la hauteur de la table de travail et le périmètre de travail, et conseille le salarié sur sa posture et les aménagements à réaliser.
Une autre partie de nos équipes aide les entreprises à actualiser leur document unique (DU) pour lequel il convient de mettre à jour les risques biologiques. En temps normal, les entreprises ne savent pas comment compléter cette rubrique car quand vous travaillez dans un bureau ou même dans l’industrie, il y a généralement peu de risques biologiques. Cette épidémie nous rappelle que le risque biologique est crucial et d’ordre sanitaire, c’est pourquoi il est nécessaire de l’intégrer au DU.
Quelle utilisation faites-vous de la télémédecine et comment va-t-elle évoluer suite à cette crise ?
Présanse Nouvelle Aquitaine, notre fédération régionale, m’a mandaté avec deux autres Directeurs de SSTI pour étudier de manière collective les solutions et dispositifs de télémédecine applicables en santé au travail. Compte tenu de la situation, nous étudions les solutions que nous avions identifiées de manière un peu plus rapide, tout en restant extrêmement rigoureux. Nous constatons que cet outil est immédiatement appropriable par les médecins du travail et peut résoudre des questions d’éloignement sur les territoires. Pour des territoires qui sont très grands, comme la Dordogne, il faut parfois plusieurs heures pour les traverser. Et 1h durant laquelle un médecin est sur la route est 1h perdue. Il est donc préférable que les médecins soient mobilisés à bon escient, notamment en leur évitant parfois de faire des déplacements, s’ils ne sont pas indispensables. Attention, on ne peut pas tout faire. Comme toute téléconsultation en médecine de ville, certains symptômes sont aisément traitables à distance. D’autres pas du tout. Le médecin du travail qui doit voir quelqu’un en visite de reprise et s’assurer de la rotation d’un membre aura du mal à le constater par visioconférence. Il y aura besoin d’un examen clinique du salarié pour s’assurer qu’il est bien apte à reprendre dans les conditions de travail données. Nous mettons donc en place avec les entreprises et les salariés des solutions de téléconsultation, de téléconférence, de télésuivi dans un cadre extrêmement rigoureux sur lequel Présanse travaille afin de structurer les initiatives qui se font durant cette période.
Comment apportez-vous votre soutien au secteur sanitaire et en quoi est-ce important ?
Sur la Nouvelle Aquitaine nous estimons à environ 15% le nombre de professionnels de santé au travail s’étant engagé sur la réserve sanitaire. L’autre partie des équipes reste mobilisée dans la mission de santé au travail pour accueillir les salariés ou répondre au téléphone et aux mails. Concernant la réserve sanitaire, nous régulons les appels au 15 et aidons au dépistage de la population. En Corrèze, des espaces collectifs ont été réquisitionnés par l’Agence Régionale de Santé et la préfecture pour devenir un centre de dépistage, auquel deux de nos médecins se sont portés volontaires. Nos équipes apportent leur aide en centre de dialyse également pour les soins chroniques car les hôpitaux réorientent leurs ressources pour gérer l’urgence de l’épidémie.
Ce sont des professionnels de santé, ils ont réagi de manière déontologique dans cette période de crise sanitaire en se mobilisant sans attendre d’être réquisitionnés. Bien sûr tout le personnel ne peut pas s’impliquer de cette manière-là et ceux qui le font, le font de manière extrêmement courageuse. Certaines régions sont déjà fortement touchées par l’épidémie. En Nouvelle Aquitaine on attend la vague et on ne sait pas qu’elle va en être la hauteur… mais l’ensemble des équipes de santé au travail ont immédiatement été sur le coup et restent mobilisées.