Publication de la décision du Conseil d’Etat sur le contrôle de la légalité du décret relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail
Le Conseil d’état s’est prononcé dans une décision du 28 avril 2023 sur le contrôle de la légalité du décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail. Le recours déposé par le CNOM est rejeté. Les visites de préreprise, de reprise et de mi-carrière peuvent être déléguées par le médecin du travail à l’infirmier de santé au travail.
Extrait :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 27 juin et 10 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Conseil national de l’ordre des médecins demande au Conseil d’Etat :
1°) à titre principal, d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail ;
2°) à titre subsidiaire, d’annuler pour excès de pouvoir ce même décret en tant qu’il n’exclut pas les visites de préreprise et de reprise du champ des visites et examens pouvant être délégués par le médecin du travail à l’infirmier en santé au travail ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– la directive 89/391/CEE du 12 juin 1989 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de la santé publique ;
– le code du travail ;
– la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
– les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l’ordre des médecins ;
Considérant ce qui suit :
[…]
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne les visites de préreprise et de reprise :
- Aux termes de l’article L. 4624-2-4 du code du travail, créé par la loi du 2 août 2021, relatif à la visite de préreprise : » En cas d’absence au travail justifiée par une incapacité résultant de maladie ou d’accident d’une durée supérieure à une durée fixée par décret, le travailleur peut bénéficier d’un examen de préreprise par le médecin du travail, notamment pour étudier la mise en œuvre des mesures d’adaptation individuelles prévues à l’article L. 4624-3, organisé à l’initiative du travailleur, du médecin traitant, des services médicaux de l’assurance maladie ou du médecin du travail, dès lors que le retour du travailleur à son poste est anticipé. / (…) « . Aux termes de l’article R. 4624-29 du même code : » En vue de favoriser le maintien dans l’emploi, les travailleurs en arrêt de travail d’une durée de plus de trente jours peuvent bénéficier d’une visite de préreprise « . Aux termes de l’article R. 3624-30 du même code, dans sa rédaction issue du décret attaqué : » Au cours de l’examen de préreprise, le médecin du travail peut recommander : / 1° Des aménagements et adaptations du poste de travail ; / 2° Des préconisations de reclassement ; / 3° Des formations professionnelles à organiser en vue de faciliter le reclassement du travailleur ou sa réorientation professionnelle. / A cet effet, il s’appuie en tant que de besoin sur le service social du travail du service de prévention et de santé au travail interentreprises ou sur celui de l’entreprise. / Il informe, sauf si le travailleur s’y oppose, l’employeur et le médecin conseil de ces recommandations afin que toutes les mesures soient mises en œuvre en vue de favoriser le maintien dans l’emploi du travailleur « .
- Aux termes de l’article L. 4624-2-3 du code de travail, créé par la loi du 2 août 2021, relatif à la visite de reprise : » Après un congé de maternité ou une absence au travail justifiée par une incapacité résultant de maladie ou d’accident et répondant à des conditions fixées par décret, le travailleur bénéficie d’un examen de reprise par un médecin du travail dans un délai déterminé par décret « . Aux termes de l’article R. 4624-31 du même code, dans sa rédaction issue du décret attaqué : » Le travailleur bénéficie d’un examen de reprise du travail par le médecin du travail : / 1° Après un congé de maternité ; / 2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ; / 3° Après une absence d’au moins trente jours pour cause d’accident du travail ; / 4° Après une absence d’au moins soixante jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel. / Dès que l’employeur a connaissance de la date de la fin de l’arrêt de travail, il saisit le service de prévention et de santé au travail qui organise l’examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise « . Aux termes de l’article R. 4624-32 du même code : » L’examen de reprise a pour objet : / 1° De vérifier si le poste de travail que doit reprendre le travailleur ou le poste de reclassement auquel il doit être affecté est compatible avec son état de santé ; / 2° D’examiner les propositions d’aménagement ou d’adaptation du poste repris par le travailleur ou de reclassement faites par l’employeur à la suite des préconisations émises le cas échéant par le médecin du travail lors de la visite de préreprise ; / 3° De préconiser l’aménagement, l’adaptation du poste ou le reclassement du travailleur ; / 4° D’émettre, le cas échéant, un avis d’inaptitude « .
- En premier lieu, si les articles L. 4624-2-4 et L. 4624-2-3 du code du travail, cités respectivement aux points 6 et 7, confient au médecin du travail la réalisation des visites de préreprise et de reprise, l’article L. 4622-8 du même code, cité au point 1, habilite l’autorité investie du pouvoir réglementaire à prévoir par décret en Conseil d’Etat les conditions dans lesquelles le médecin du travail peut déléguer, sous sa responsabilité et dans le respect du projet de service pluriannuel, à un infirmier en santé au travail la réalisation d’examens et visites prévus au titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail, dans les limites de leurs compétences respectives. Par suite, l’article 1er du décret attaqué, en ce qu’il prévoit que le médecin du travail peut confier, dans le cadre de protocoles écrits et du projet de service pluriannuel, sous sa responsabilité, la réalisation des visites et examens prévus au chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail – au nombre desquels figurent les visites de préreprise et de reprise-, et dans le respect des compétences respectives du médecin du travail et de l’infirmier en santé au travail, n’a pas été édicté en méconnaissance des dispositions des articles L. 4624-2-3 et L. 4624-2-4 du code du travail, alors même que ces dispositions ne mentionnent pas expressément la possibilité que le médecin du travail délègue à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites de préreprise et de reprise.
- En deuxième lieu, il ressort tant des dispositions citées aux points 6 et 7 que des pièces du dossier que les visites de préreprise et de reprise n’impliquent pas dans tous les cas la réalisation d’actes réservés par le code de la santé publique, notamment l’article L. 4161-1, aux médecins. En outre, il résulte de l’article 1er du décret attaqué que lorsque ces visites sont déléguées, l’infirmier en santé au travail qui bénéficie de la délégation doit disposer de la formation et des compétences nécessaires, les réaliser sous la responsabilité du médecin du travail, dans le cadre de protocoles écrits, et dans le respect de leurs compétences respectives, réorienter le salarié vers le médecin du travail si nécessaire ainsi que dans les situations prévues par le protocole et que les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale ne peuvent être émis que par le médecin du travail. Par suite, le Conseil national de l’ordre des médecins n’est pas fondé à soutenir qu’en permettant, dans ces conditions, à un médecin du travail de déléguer à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites de préreprise et de reprise, le décret attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions législatives du code de la santé publique qui réservent à un médecin la réalisation de certains actes.
- En troisième lieu, eu égard aux garanties qui viennent d’être mentionnées, le Conseil national de l’ordre des médecins n’est pas fondé à soutenir que le décret qu’il attaque est entaché d’erreur manifeste d’appréciation et méconnaît le droit à la protection de la santé qui résulte du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et les dispositions de l’article 7 de la directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, en ce qu’elles prévoient que les personnes ou services extérieurs à l’entreprise chargés des activités de protection et des activités de prévention des risques professionnels de l’entreprise doivent avoir les aptitudes nécessaires et disposer des moyens personnels et professionnels requis.
- En quatrième et dernier lieu, le moyen tiré de ce que l’article 1er du décret attaqué aurait omis de prévoir que l’infirmier en santé au travail bénéficiant, en application des dispositions précitées, d’une délégation du médecin du travail pour réaliser certains examens ou visites doit disposer d’une formation ou d’une qualification particulière manque en fait, l’article R. 4623-14 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret attaqué, disposant que les missions déléguées doivent être adaptées à la formation et aux compétences des professionnels auxquels elles sont confiées.
En ce qui concerne les visites médicales de mi-carrière :
- Aux termes de l’article L. 4624-2-2 du code du travail, créé par la loi du 2 août 2021, relatif à la visite médicale de mi-carrière : » I.-Le travailleur est examiné par le médecin du travail au cours d’une visite médicale de mi-carrière organisée à une échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile du quarante-cinquième anniversaire du travailleur. / (…) / L’examen médical vise à : / 1° Etablir un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, à date, en tenant compte des expositions à des facteurs de risques professionnels auxquelles il a été soumis ; / 2° Evaluer les risques de désinsertion professionnelle, en prenant en compte l’évolution des capacités du travailleur en fonction de son parcours professionnel, de son âge et de son état de santé ; / 3° Sensibiliser le travailleur aux enjeux du vieillissement au travail et sur la prévention des risques professionnels. / Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le travailleur et l’employeur, les mesures prévues à l’article L. 4624-3. / II.-La visite médicale de mi-carrière peut être réalisée par un infirmier de santé au travail exerçant en pratique avancée. Celui-ci ne peut proposer les mesures mentionnées au dernier alinéa du I. A l’issue de la visite, l’infirmier peut, s’il l’estime nécessaire, orienter sans délai le travailleur vers le médecin du travail « .
- Si l’article L. 4624-2-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2021, cité au point précédent, réserve aux seuls infirmiers en pratique avancée la possibilité de réaliser de plein droit la visite médicale de mi-carrière qu’il institue, l’article L. 4622-8 du même code, dans sa rédaction issue de la même loi, cité au point 1, habilite l’autorité investie du pouvoir règlementaire à prévoir par décret en Conseil d’Etat quelles missions, parmi toutes celles prévues au titre II du livre VI de la quatrième partie du code du travail, peuvent être déléguées, dans certaines conditions, par le médecin du travail à un infirmier en santé au travail, qu’il soit ou non infirmier en pratique avancée. Il s’ensuit que l’autorité investie du pouvoir règlementaire pouvait légalement, à l’article 1er du décret attaqué, permettre, dans les conditions qu’il définit, à un médecin du travail de déléguer à un infirmier en santé au travail la réalisation de la visite médicale de mi-carrière, parmi les visites et examens dont il autorise la délégation, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que, par ailleurs, en vertu des dispositions citées au point précédent, les infirmiers en pratique avancée aient la possibilité de réaliser cette visite sans qu’ils aient reçu, au préalable et à cette fin, une délégation du médecin du travail. Par suite, le Conseil national de l’ordre des médecins n’est pas fondé à soutenir que l’article 1er du décret attaqué a été édicté en méconnaissance des dispositions de l’article L. 4624-2-2 du code du travail qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne réservent pas la réalisation de cette visite soit au médecin du travail, soit à l’infirmier en pratique avancée.
Sur l’entrée en vigueur du décret :
- Aux termes de l’article L. 4623-10 du code du travail, créé par la loi du 2 août 2021 : » L’infirmier de santé au travail recruté dans un service de prévention et de santé au travail est diplômé d’Etat ou dispose de l’autorisation d’exercer sans limitation, dans les conditions prévues par le code de la santé publique. / Il dispose d’une formation spécifique en santé au travail définie par décret en Conseil d’Etat. / Si l’infirmier n’a pas suivi une formation en santé au travail, l’employeur l’y inscrit au cours des douze mois qui suivent son recrutement et, en cas de contrat d’une durée inférieure à douze mois, avant le terme de son contrat. Dans cette hypothèse, l’employeur prend en charge le coût de la formation. / L’employeur favorise la formation continue des infirmiers en santé au travail qu’il recrute. / Les tâches qui sont déléguées à l’infirmier de santé au travail prennent en compte ses qualifications complémentaires « . Aux termes du IV de l’article 34 de la loi du 2 août 2021 : » Les obligations de formation prévues à l’article L. 4623-10 du code du travail entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 31 mars 2023. Par dérogation au même article L. 4623-10, les infirmiers recrutés dans des services de prévention et de santé au travail qui, à cette date d’entrée en vigueur, justifient de leur inscription à une formation remplissant les conditions définies par le décret en Conseil d’Etat mentionné au deuxième alinéa dudit article L. 4623-10, sont réputés satisfaire aux obligations de formation prévues au même article L. 4623-10 pour une durée de trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur de ces obligations « .
- Le décret attaqué, qui est dépourvu de mesures transitoires, étant entré en vigueur le 28 avril 2022, alors que les dispositions de l’article L. 4326-10 du code du travail n’étaient pas encore entrées en vigueur, le Conseil national de l’ordre des médecins soutient qu’en permettant, dès le 28 avril 2022, la délégation à un infirmier en santé au travail qui ne dispose pas d’une formation particulière des visites de préreprise et de reprise, il a été édicté en méconnaissance du droit à la protection de la santé qui résulte du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et du principe de sécurité juridique tel que repris à l’article L. 221-5 du code des relations entre le public et l’administration. Toutefois, l’article 1er du décret attaqué exigeant qu’une telle délégation de missions soit adaptée à la formation et aux compétences du professionnel auquel elles sont confiées, le requérant n’est pas fondé à soutenir que le décret attaqué, en entrant en vigueur le lendemain de sa publication, avant que n’ait été pris le décret auquel renvoie l’article L. 4326-10 du code du travail, aurait été pris en méconnaissance de ces exigences.
- Il résulte de tout ce qui précède que la requête du Conseil national de l’ordre des médecins doit être rejetée, y compris en ce qu’elle présente des conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Conseil national de l’ordre des médecins est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l’ordre des médecins, au ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et à la Première ministre.
Copie en sera adressée au ministre de la santé et de la prévention.
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